‘’’Conférence 2005
Comme je l’ai signalé dans l’argumentaire, il ne s’agit pas d’une étude qui serait d’abord esthétique et dont le propos serait de comprendre l’image via les sens, puis d’une étude idéique ou logique pour comprendre l’idée qui sourd de l’image, pour enfin les confronter. Ce travail part de la conviction que toute Image renferme une Idée, une idée spécifiquement iconique. L’inhérence de cette idée à l’image est essentiellement une activité, un ergon, qui transforme les choses qu’on reconnaît spontanément dans la contemplation initiale de l’image. C’est de cette activité de transformation que le sens – au sens littéral du terme, c’est-à-dire quelque chose qui trace une direction - jaillit. C’est elle qui dote les éléments reconnaissables et les investit d’une signification propre à leur existence dans l’image. C’est cette activité enfin qui confère aux éléments iconiques leur cohésion, c’est-à-dire la consistance nécessaire à leur intégration dans une idée.
Pour essayer de mettre sur route ce programme, j’ai choisi de commencer par une description de différentes phases de cette activité de transformation qu’est l’idée iconique en acte.
La première référence sera le modèle syntaxique, très original, proposé par le linguiste Lucien Tesnière. L’on peut objecter la dimension purement mentale de ce modèle. C’est pour cette raison que je prendrai une autre piste.
Dans un deuxième moment donc, on passera de la description d’un mouvement directionnel, cinématique si l’on veut, à l’étude des forces qui le rendent dynamique. Je reprocherai ce modèle syntaxique d’un paradigme cognitif, le paradigme de l’Emotion proposé par le savant hollandais Nico Fridja. On trouvera, je l’espère, la dimension énergétique de l’activité que je cherche à rendre visible.
Quelle sorte d’orientation policerait cette force ? Quel est ce sens qui s’en dégage dans le feu de l’énergie ? Pour la comprendre, j’essayerai de montrer, à partir de quelques fragments décisifs de Peirce, que cette force est essentiellement biaisée, « perspectiviste », et que c’est son entêtement perspectiviste qui donne lieux aux transformations sémantiques que subissent les choses reconnaissables dans l’image.
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Dans les années soixante, et bien avant, la linguistique structurale, s’attelait courageusement à la tâche très difficile de définir la dimension où prend racine la naissance d’une Idée, le sens des mots pour les linguistes. C’est de cette manière qu’a vu le jour la méthode dite paradigmatique. Les idées sont des unités paradigmatiques. Qu’est-ce à dire au juste ?
Dans une phrase, il ya outre l’axe syntagmatique (spatial), de la cooccurrence des mots (« il fait froid dans cette pièce », Par exemple). Outre cette dimension il y a un autre axe, l’axe temporel, l’axe paradigmatique, qui concerne uniquement les mots qui pourraient ou auraient pu remplacer le mot actuel. Quand je prononce le mot « froid » dans une phrase, cette occurrence est grosse d’autres mots virtuels, « chaud », « tiède », etc. Les unités paradigmatiques sont celles susceptibles de remplacer dans un même syntagme, la dimension spatiale, celle de l’extension des mots dans une phrase, le mot effectivement choisi. La question paradigmatique par excellence est : quels sont les autres mots qui auraient été possibles à la place de « froid » » ? Ce qui est choisi, « froid », c’est ce par quoi le mot actuellement choisi se distingue de toutes les autres unités. Ca signifie uniquement par distinction, par écarts différentiels. La définition des mots est uniquement relationnelle et, à la limite, oppositionnelle : être, c’est être ce qu’un autre possible n’est pas.
(Bourdieu a employé avec brio cette méthode pour comprendre la différenciation sociale, pour en faire une différenciation sociologique. Deux axes lui sont nécessaires : l’axe vertical de la variation du capital globale, économique et culturel et l’axe horizontal défini, lui, par le poids relatif de chacun des capitaux. Avancer vers la gauche, c’est perdre de capital économique et gagner en culture.
Dans l’espace des positions et des styles de vie sociaux, espace déterminé par ces deux axes, un agent est un point scientifiquement défini. Etre dans cet espace, c’est être ce qui n’est pas l’autre. Hante cet espace une opposition héritée de Lévi-Strauss, l’opposition de la nature et de la culture. Etre populaire par exemple, c’est être proche de la Nature, brutes et sans manières, aveuglé par le gout du nécessaire et du gros bien cuit. La culture en revanche, est art et manière.)
Or, et dans le même courant structuraliste, s’est développée parallèlement une autre tendance, peu connue même à présent, à savoir la « syntaxe structurale ». L’objet de la syntaxe structurale est la cooccurrence des unités significatives dans une phrase. Plus précisément, dit Lucien Tesnière, son fondateur, il s’agit de la science de la mise en ordre des unités significatives dans une phrase. Logiquement, la phrase dégage un sens non réductible à la somme des significations additionnées des unités significatives. Plus précisément, il s’agit de trouver le sens, non pas dans la substitution ou l’opposition des unités virtuelles (c’est l’affaire de la paradigmatique), mais dans la collaboration ou la contribution de plusieurs unités significatives qui co-occurrent dans une phrase, c'est-à-dire dans une unité plus grande et autonome.
Seulement, beaucoup de linguistes – de moins en moins, à vrai dire – restent fidèles à la distinction qui sépare l’expression ordonnée de la pensée, la syntaxe, du contenu de la pensée (la sémantique).
Les mots qui s’insèrent dans une phrase ont, chacun, un sens indépendant de leur existence dans la phrase ; exactement comme des choses dans l’interaction quotidienne, table, chaise ou chat, sont reconnaissables au premier coup d’œil, dans l’affairement quotidien. Seulement l’insertion des uns et des autres dans l’économie d’une structure modifie complètement cette signification usuelle, selon le rôle ou fonction que cette économie assigne aux éléments qu’elle intègre. C’est ce sens économique qui intéresse au premier chef mon travail. La syntaxe serait la science de la contribution de plusieurs unités possédant une signification préalable dans la constitution d’un sens global relativement autonome. Mais ce sens global ne se fait pas sans l’instrumentalisation, la fonctionnalisation des unités intégrées. Grâce à la structure syntaxique, on voit, on assiste à la transformation du sens usuel en sens structural, ce qui n’est pas sans procurer un plaisir proprement iconique.
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